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Dossiers spécifiques

La gestion des épidémies à Montréal : des manquements à longueur de siècle

Pluts Octobre 2022

Montréal s’illustre bien comme une plaque tournante des affaires et des biens mais aussi comme un carrefour de rencontre des virus et bactéries. Venant de tous les recoins du monde les maladies y font régulièrement des escales avant de décider de s’installer ou de continuer leur chemin. En effet, depuis les siècles derniers, plusieurs problèmes de santé ont été recensés dans la ville avant de s’étendre à d’autres régions du Québec et à d’autres provinces du Canada. En 1832, l’épidémie de choléra venue de l’Europe avait fini par souiller le fleuve Saint-Laurent, contaminant Montréal et sa région [1]. Bien plus tard, Montréal a reçu la variole de Chicago en 1885 ; d’un cas, la maladie finira par atteindre près de 20 000 personnes [2] . Pour la grippe espagnole en 1918, certes Montréal n’avait été le point de départ de la transmission canadienne, cependant, la ville en était devenue plus tard un important point de transit[3]. Concernant le VIH/Sida, les diagnostics rétrospectifs indiquent que le premier cas du Canada a été enregistré à Montréal en 1979 [4]. Bien que de multiples routes de dispersion de la maladie se sont dessinées par la suite, Montréal est demeurée le point de concentration des cas avec 75% de la prévalence totale du Québec à la fin de la décennie 80[5]. La pandémie de la Covid-19 ne fera pas exception; elle a frappé le Québec plus que les autres provinces[6] et Montréal en a été la cible principale. Comme pour le cas du Sida, c’est aussi à Montréal que le premier cas de la variole simienne au Canada a été enregistré[7]; aujourd’hui le Québec avec 525 cas domine en proportion toutes les provinces du pays. La dynamique spatiotemporelle de l’évolution des épidémies montre que la ville a souvent été le point de départ de certains problèmes de santé au Québec et au Canada. Cependant, le fait que la ville soit souvent prise par les épidémies n’est, en soi, aucunement une particularité. C’est plutôt l’approche de gestion qui nécessite d’être interrogée.

Au regard de l’exposition de la métropole, un autre système de contrôle ne devrait-il pas être envisagé? La tâche est énorme car dans une telle situation, à la surveillance (passive et active) et l’immunisation des personnes, s’ajoutent celles des autres vecteurs à savoir les animaux, les oiseaux et autres porteurs dans la perspective Une- Seule-santé (One Health)[8]. Les efforts devront être à la hauteur des mesures de contrôle comparables à celles mises en place pour la surveillance de l’Influenza Aviaire Hautement Pathogène[9]. Même s’il n’y a pas de doute qu’un effort certain est fait dans ce sens, ce qui a été constaté au début de la pandémie de la Covid-19 ne semble pas être un indicateur d’anticipation et d’espérance. En effet pendant que l’anxiété était grande dans les populations et cela à travers le monde, les voyageurs au départ ou à l’arrivée de l’aéroport P. E. Trudeau de Montréal semblaient se trouver dans un désert de la prévention et de la précaution[10]. Personne n’était chargé de les accueillir et les orienter quant aux mesures à prendre et au comportement à adopter pour éviter de contracter ou transmettre la maladie. Cette situation rappelle celle de la crise du C. difficile en 2004. Pendant cette crise, la bactérie se transmettait aussi par les contacts mains-à-mains, entre patients ou avec le personnel de santé. Curieusement, ni les autorités ni les hôpitaux n’avaient informé la population qu’une crise sanitaire était en cours[11]. Comme une habitude centenaire, les autorités du temps de la grippe espagnole aussi avaient presque mis une omerta sur le diagnostic, se contentant de parler de rhume ordinaire (McGinnis, 1977). La gestion de la variole en 1885 semble être le modèle d’échec de référence que Montréal traine à longueur de siècle. Après avoir échoué à promouvoir le vaccin antivariolique qui était pourtant déjà bien connu, le Bureau de la santé montréalais renvoie de l’hôpital envahi par la variole (Hôtel-Dieu), tous les patients qui ne semblaient pas atteints. Cette erreur propage la variole à la ville[12].

 

Pour ce qui est des dispositions qui devaient être prises à l’aéroport contre la Covid-19, les responsables de santé publique de Montréal avaient certainement leur propre idée. Avaient-ils seulement leur propre pouvoir? Certainement non. Cette situation rappelle le contexte de naissance et d’évolution dans les années 1870 de l’unité de santé publique à Montréal qui pendant longtemps n’avait reçu que de piètres considérations de la part des autorités[13]. Des changements sont nécessaires pour améliorer la situation et plus spécifiquement le processus décisionnel pour les prochaines crises sanitaires. Le distinguo des compétences entre les gouvernements municipal, provincial et fédéral ne peut être accepté pour justifier toutes les défaillances de la prévention. La collaboration attendue dans ces circonstances est une collaboration plus scientifique que politique entre ces niveaux et la décision basée sur la science commanderait une uniformité de solution.

 

[1]Rutty & Sullivan (2010). This is public health: A Canadian history. CPHA100, Celebrating a century of public health leadership.

[2] INSPQ, (2022). Ligne du temps des maladies infectieuses. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/documents/lspq/ligne-du-temps-maladies-infectieuses.pdf

[3] McGinnis J. P. D. (1977). The Impact of Epidemic Influenza: Canada, 1918-1919. Historical Papers / Communications historiques, 12(1), 120–140. https://doi.org/10.7202/030824ar

[4] Société Canadienne du Sida (2022). History of Canadian AIDS Society. https://www.cdnaids.ca/about-us/history/.

[5] Remis R. & Roy E. (1991). Sida : le suivi de l’épidémie au Québec

[6] Alami H, Lehoux P, Fleet R, Fortin J-P, Liu J, Attieh R, Cadeddu SBM, Abdoulaye Samri M, Savoldelli M and Ag Ahmed MA (2021) How Can Health Systems Better Prepare for the Next Pandemic? Lessons Learned From the Management of COVID-19 in Quebec (Canada). Front. Public Health 9:671833. doi: 10.3389/fpubh.2021.671833

[7] Sharon S. Sukhdeo MD, Khuloud Aldhaheri MD, Philip W. Lam Un cas de variole simienne chez l’humain au Canada CMAJ 2022 August 2; 194:E1031-5. doi : 10.1503/cmaj.220886-f 

[8] Aenishaenslin C., Hongoh V., Cissé H. D., Hoen A. G., Samoura K., Michel P. et al. (2013). Multi-criteria decision analysis as an innovative approach to managing zoonoses: results from a study on Lyme disease in Canada. BMC Public Health, 2013, 13:897.

[9] Inspection Canada, (2022). Aperçu des méthodes de prévention, de préparation et d'intervention en matière d'influenza aviaire. https://inspection.canada.ca/sante-des-animaux/animaux-terrestres/maladies/declaration-obligatoire/influenza-aviaire/prevention-de-preparation-et-d-intervention/fra/1375982718329/1375982719875

[10] Gosselin J. (2020). Aéroport Montréal-Trudeau: des voyageurs calmes malgré l’épidémie de coronavirus. La prersse, https://www.lapresse.ca/actualites/2020-03-01/aeroport-montreal-trudeau-des-voyageurs-calmes-malgre-l-epidemie-de-coronavirus.

[11] Eggertson L. & Sibbald B. (2004). Hospitals battling outbreaks of C. difficile. CMAJ  171 (1) 19-21; DOI: https://doi.org/10.1503/cmaj.1040979.

[12] Marsh J. H.  (2021). L'épidémie de variole de Montréal en 1885. L’Encyclopédie Canadienne. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/un-fleau-frappe-montreal. 

[13] Gagnon E. (1937). Notes on the early History and evolution of the Department of Health of Montreal. Abstract of a paper presented before the Section of Vital Statistics and Epidemiology at the twenty-sixth annual meeting of the Canadian Public Health Association Ottawa June 1937.

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