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Dossiers spécifiques

Culture, art et distribution des richesses et du bien-être

Les potentialités dans le domaine de la culture et des arts ont le plus souvent été abordées en liant la valeur des œuvres à leurs retombées économiques et au succès commercial. Aussi, l’actualité culturelle est souvent ponctuée d’informations relatives à de grosses ventes d’œuvres d’art, de grandes productions du cinéma et de gros contrats dans le secteur de la musique. Le milieu du sport est aussi un cadre de flux financiers énormes. Comme corolaire, la question du potentiel de redistribution des richesses dans le domaine de la culture et des arts préoccupe de plus en plus d’intervenants. Une telle analyse de distributivité des ressources générées dans les différents domaines de la culture et des arts est souvent demandée dans la mesure où elle peut contribuer à déterminer les retours probables d’investissement pour orienter l’action des acteurs du développement et des décideurs politiques. 

 

Le capital culturel sur lequel reposent les entreprises culturelles et qu’elles s’efforcent de reproduire est très souvent sous-estimé et négligé[i]. Les modèles d’analyse de la valeur économique des biens dans les secteurs de la culture et des arts indiquent dans certains cas que ces biens ne sont économiquement viables que par le fait d’un transfert de ressources du reste de l'économie. En dehors de cette valeur transférée, la valeur économique propre de beaucoup d’œuvres d’art et de produits de l’industrie de la création serait plutôt nulle selon certains de ces modèles d’estimation[ii]. Toutefois, il demeure que les entreprises culturelles ont un grand potentiel de redistribution des richesses du fait de la diversité des niveaux et des types d’acteurs qui y travaillent. Cependant, les domaines les plus distributifs de richesses semblent être ceux dont la volatilité et la sensibilité des valeurs économiques aux crises sont les plus grandes. Les revenus moyens des artistes dans ces secteurs sont faibles comparés à ceux d’autres acteurs de niveau d’éducation comparable[iii]. Il s’en suit, comme le notent certains auteurs, que la redistribution des richesses dans le domaine de la culture reste encore sous-optimale[iv]. Cela pourrait être lié à ce qui a été appelé la Nouvelle Division Internationale du Travail qui, dans certains cas, exporte des activités pour les réaliser dans des pays où les coûts de production sont plus faibles et les travailleurs moins bien rémunérés[v]. Dans certains contextes, la division sexuelle du travail dans des domaines des arts comme la musique montrerait de même des différences qui se répercutent dans les revenus, souvent défavorables aux femmes[vi]. Plus préoccupant encore, comme l’évoque la réalisatrice Hito Steyerl, certains secteurs de la culture et des arts sont accusés promouvoir une redistribution des richesses des pauvres vers les riches[vii].

Dans la perspective de la dynamisation du secteur économique et de l’investissement dans les secteurs sociaux, il est légitime de se poser la question de la rentabilité économique au regard de l’ensemble des impératifs sociaux. Le domaine de la culture et des arts peut être un levier de redressement économique et contribuer à l’avènement d’une balance commerciale favorable [viii]. La culture et les arts offrent une multiplicité de cadres et peuvent bien servir de socle de relance mais aussi de boussole dans la mesure où l’apport direct de la culture à l’économie est non négligeable[ix]

 

Considérer la valeur des produits et œuvres d’art et des objets culturels en termes de revenu et de rentabilité économique ne fait pas toujours l’unanimité. Si la redistribution des richesses à travers la culture et les arts peut faire l’objet de débats, leur potentiel de distribution de bien-être social, physique et psychologique est incommensurable2. D’ailleurs dans les sociétés traditionnelles, la consommation des objets culturels et cultuels était plus importante dans les périodes de crise et d’incertitude que dans les périodes d’abondance. Leur valeur refuge spirituelle devenait beaucoup plus grande et les populations trouvaient en ces objets et rites le réconfort et l’assurance morale et spirituelle qui rapprocherait les âmes de la nature et des divinités. À mesure que l’Homme s’est éloigné de la nature ou plutôt en a eu un rapport cartésien « devenir maitre et possesseur de la nature », la culture et les œuvres culturelles ont été vidées de leurs valeurs sociales et culturelles et sont devenues des objets de consommation plus prisés en période d’abondance. Toutefois, de nos jours, à travers les formes variées de l’art-thérapie, il ressort que les œuvres artistiques et culturelles constituent une immense source de bien-être aussi bien pour les personnes bien-portantes que pour des personnes souffrant d’incapacité et de traumatismes divers. 

 

Aussi, au delà des considérations économiques, il est important de noter que la vraie valeur de l’art réside dans sa représentativité de l’identité sociale et culturelle de son espace et/ou de son époque et dans la relation symbolique qu’elle entretient avec l’humain dans la représentation ou dans le bain de sa cosmogonie. Aussi bien les œuvres archéologiques, les œuvres musicales que les œuvres de fiction futuristes ont cette même caractéristique à savoir la projection dans le réel ou le virtuel du ressenti, de l’angoisse, du rêve ou de l’espérance de l’humain, l’être fini, face à l’immensité du cosmos, l’étant infini, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. L’émotion et l’absorption qui découlent de l’appréciation d’une œuvre est la manifestation de ce désir de fusion et de communion avec l’infini dématérialisé et immatérialisé. À ce niveau, l’œuvre est d’une capacité de distributivité infinie donc de valeur infinie. 

 

Ce faisant le secteur de la culture et des arts mérite un appui constant des décideurs plutôt qu’un abandon aux caprices d’un marché d’une supposée industrie culturelle. Celle-ci a toutes les caractéristiques de l’industrie du capital et des grands monopoles qui, par les diverses formes de la division du travail, ne réserve souvent que la portion congrue à l’artiste et surtout aux femmes.

 

[i] Aageson T. H. (2008). Cultural entrepreneurs: produicing cultural value and wealth in Helmut Anheier & Yudhishthir Raj Isar The cultural economy chp. 6. The cultures and globalization series 2. Sage Publication. 

[ii] Potts J. & Cunningham S. (2010). Four models of the creative industries. Revue d'économie politique 1(120), 163-180. https://doi.org/10.3917/redp.201.0163.

[iii] Bille, T. (2020). Artists’ labour markets. In Ruth Towse & Trilce Navarrete Hernandez Handbook of cultural economics. Edward Elgar Publishing. 

[iv] Anheier H. & Yudhishthir Raj Isar (2008). The cultural economy chp6 . The cultures and globalization series 2. Sage Publication.

[v] Hesmondhalgh, D.J (2008). Cultural and Creative Industries. In: The SAGE handbook of cultural analysis. Sage Publications Ltd, pp. 553-569.

[vi] Ravet H & Coulangeon P. (2003). La division sexuelle du travail chez les musiciens français. Sociologie du travail. 45(3).  361-384.

[vii] Steyerl H. (2010). Politics of Art: Contemporary Art and the Transition to Post-Democracy. e-fluxJournal. https://www.e-flux.com/journal/21/67696/politics-of-art-contemporary-art-and-the-transition-to-post-democracy/

[viii] Choi J. (2009). The new Korean wave of U. in Helmut Anheier & Yudhishthir Raj Isar The cultural economy chp. 6. The cultures and globalization series 2. Sage Publication.

[ix]Jauneau Y. (2013). Le poids économique direct de la culture. Ministère de la Culture – DEPS, « Culture chiffres » 3, p. 1-12. DOI 10.3917/culc.133.0001.

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